La Montagne
Je débute.
Je commence la première page, du premier livre.
Chaque écrivain de grande ou petite renommée est passé par là.
A la différence près que je ne suis pas écrivain, que je ne possède pas de plan de texte, pas d’histoire à raconter, pas de personnages, pas la moindre idée quant au thème dont je pourrais m’inspirer.
La montagne semble difficile à gravir et il faudrait être insensé pour prétendre grimper au sommet sans le moindre attirail.
J’imagine qu’il doit exister pléthore de citations provenant d’illustres philosophes emprunts de sagesse qui décrivent que l’impossible ne l’est plus dès lors qu’on croit en soi.
Pour ajouter du piment à cette mixture déjà bien relevée, je ne crois pas en moi outre mesure.
Devrais-je dire plutôt je ne croyais pas en moi jusqu’à récemment lorsqu’un élément déclencheur m’a soudainement fait ouvrir les yeux. Un micro événement qui vous fait subitement prendre conscience de votre potentiel jusque là refoulé au fond de votre abîme.
Tout se met alors à fonctionner en symbiose, tout ce que vous avez construit, acquis, appris, toutes ces qualités s’alignent, se solidifient pour former un socle solide sur lequel un édifice peut être érigé.
Comme si les protons de chaque molécule d’eau qui pivotent aléatoirement et de manière asynchrone dans notre corps étaient soumis à un champ magnétique puissant qui désormais les inclinent tous dans le même sens pour former un ensemble cohérent, travaillant de concert avec le même objectif.
Je mesure les atouts en ma possession, je les estime à leur juste valeur, sans prétention aucune.
Ainsi, comme preuve de ma non grandiloquence, ce livre parlera de moi.
Je resplendis par mes contradictions, je rayonne par mes paradoxes et arborant ce plastron d’humilité qui m’a tellement protégé par le passé, je m’aperçois qu’il m’a aussi longtemps empêché de m’exprimer, de m’affirmer… de m’accomplir.
L’accomplissement d’un homme, c’est effectivement le sujet de ce récit, un homme brillant dans le noir qui cherche à luire dans la lumière.
Je ne suis pas dépourvu pour affronter cette paroi. Je n’ai ni crampon, ni baudrier, je ne maîtrise pas l’escalade et suis soumis au vertige dès les premiers mètres gravis. Je possède néanmoins un outil essentiel à ma quête, les mots.
Ces mots assemblés à bon escient peuvent vous transporter, peut-être même peuvent-ils faire voler et pourquoi pas attendre les cieux, soyons humble. Qu’est-ce qu’une modeste montagne, aussi imposante soit-elle à côté de l’espace tout entier?
Je commence donc la première page du premier livre après des mois d’exercice, des mois à explorer des terrains d’écriture divers et variés qui m’ont permis de me forger une capacité à réaliser cette tâche ardue. Des mois à explorer mes terrains intérieurs, les sentiers de mon âme afin d’en comprendre le tracé, la sinuosité et le dénivelé.
Puis vint le déclic qui mis toute cette structure en marche.
Une grande satisfaction? un trauma? une gifle? L’œuvre d’un tiers?
Rien de tout ça.
Un clin d’œil.
Un simple, un vulgaire clin d’œil d’une vache de race Aubrac, paissant paisiblement dans la région du même nom, l’Aubrac.
Cet épisode anodin, dans un contexte particulier, dans un lieu cher à ma chaire a provoqué ce cataclysme bénéfique et opportun.
Me voici désormais armé pour avancer dans mon périple, sans chemin défini, sans destination précise mais avec la conviction de l’atteindre un jour.
