Le corbeau
Après la gracieuse tourterelle et l’aigle majestueux, c’est au tour du corbeau répugnant de sortir de sa cage. La Fontaine coule à flots en ce moment car je vais évoquer une de ses plus célèbres fables : le corbeau et le renard.
Maitre Corbeau sur un arbre perché, tenait en son bec un fromage. Les fables de la Fontaine ont bercé l’enfance, la mienne et celle de milliers de petits français, en culottes courtes sur les bancs de l'école, exceptée Sharon qui n’en avait pas. En substance, pour ceux qui sont nés avant La Fontaine, le renard dupe le corbeau qui passe pour une buse. Pas la buse au sens rapace, ce qui aurait pu paraître avantageux, mais buse au sens tanche.
Non Jean-louis, le corbeau ne se transforme pas en poisson et arrête de pincer tes camarades.
Déjà au 17è siècle, le corbeau avait mauvaise presse, ce qui n'était pas anachronique puisque Gutenberg a inventé l'imprimerie 3 siècles plus tôt.
La fontaine le qualifie de benêt, la culture populaire utilise son nom pour désigner les sournois qui font chanter. De manière générale, son statut de charognard, son croassement déplaisant, sa robe noire et le fait qu'il se replait dans les récoltes en font un animal déplaisant.
Je veux ici réhabiliter ce volatile au rang qu'il mérite. Non pas que je le vénère mais il appartient à la race des oiseaux et rien que pour ça, il faut le considérer, quand bien-même il ne rentre pas dans les cases bien pensantes.
Je compte même déposer un recours à la cour de justice internationale pour qu'il supplante la blanche colombe comme symbole de paix, qu’il l’a dépece et bouffe sa carcasse.
Savez-vous que le corbeau est doté d’une intelligence comparable à celle des grands singes. Si on transpose à hauteur d’homme, le corbeau serait capable de réciter par cœur « la Critique de la raison pure » après l’avoir survolé une fois alors que la colombe serait incapable de faire ses lacets.
Non Jean-Louis, les oiseux ne mettent pas de chaussures et arrête d’imiter le bruit du pet avec tes dessous de bras.
Le sujet de fond de ce discrédit aux yeux de la culture populaire, c’est bien le noir.
Il est de bon ton de ne pas contredire le philosophe, de considérer ses dires comme parole d’évangile. Je vais contrevenir à la bienséance universelle en allant à contre-courant, non pas de Nietzsche, mais de celui qui prétendait, dans un de ses textes, que noir, c’est noir et de ce fait, il n’y a plus d’espoir. Et bien j’ose l’affirmer, même si c’est noir, l’espoir subsiste.
Revenons au départ: qu’est-ce que le noir? Réponse on ne peut plus simple au premier abord, extrêmement complexe dès qu’on s’y penche un peu, voire infini tant les ramifications, les orientations, les pistes sont multiples.
Oui Jean-Louis, Le noir, c’est l’inverse du blanc. Mais encore? Et enlève ce phallus en papier collé sur le dos de Mireille.
Le noir, c’est une couleur, ou plus précisément , c’est l’absence de couleur. Toutes les couleurs du prisme visuel se décortiquent à partir des trois couleurs primaires: le bleu, le jaune et le rouge. Avec différents dosages de chacune de ces trois couleurs, on obtient le reste du spectre présent dans la nature. Le vert est l’association du jaune et du bleu, l’orange c’est le mariage entre le rouge et le jaune etc.
Le noir, c’est quand ces trois couleurs sont réduites à néant, le bleu à zéro, le jaune absent, le rouge niet.
De manière très basique , je dirai que la nature humaine l’associe à l’inconnu. De là découlent toutes les légendes et croyances forgées par l’homme depuis des siècles. La mort, la peur, la détresse sont reliées à cette couleur. Une des raisons évidentes est relative à la nuit, absence de jour, absence de lumière, perte des repères visuels, et donc source de fantasmes. La mauvaise réputation du noir pourrait venir de là.
Pourtant, pour faire le lien avec des réflexions précédentes, l’aveuglement ne se manifeste pas la nuit, le soleil étant caché derrière l’horizon. C’est la nuit qu’on voit l’invisible, en premier lieu duquel les étoiles, qui sont présentes en permanence, mais inatteignables le jour du fait de la lumière persistante. L’étoile du berger, celle qui guide le pèlerin, ne peut être utile uniquement la nuit.
Non Jean-Louis, Michel Berger n’était pas peintre et cesse de regarder par dessous le bureau de Sharon.
C’est donc dans le noir, en fermant les yeux et en se concentrant sur soi-même, que l’on peut avancer sur notre chemin. La méditation n’est pas très loin. Le chaos non plus. On peut imaginer que le cycle lumineux ordonné du jour, se termine le soir venu par la tombée inexorable de la nuit et son attribut chaotique, engendrant une renaissance le lendemain matin.
En réalité, je dirais plutôt que le chaos a lieu davantage le jour lorsque nous faisons face à l’activité, à la coactivité, à la suractivité parfois, au stress, au travail, aux informations anxiogènes. Tandis que la nuit, c’est le calme, le repos, l’apaisement, la quiétude. Le noir est donc plus de l’ordre de l’ordre, si je peux me permettre un fin jeu de mot.
Je veux ici réhabiliter le noir, le corbeau, le charbon, les trous etc, en ma qualité d’avocat de cette couleur avec ma robe noire.
Le noir est aussi important que le blanc. La lumière et l’obscurité ont toutes deux leurs importances dans l’équilibre de chacun, dans la stabilité de l’écosystème, et surtout dans le vivre ensemble, qui n’est pas une histoire de couleur de peau. Il y a des cons partout, chez les blancs, les noirs, les jaunes, les rouges et aussi sans doute chez les lgbt arc-en-ciel. Mais il y aussi et surtout des gens biens partout aussi. Et les noirs ne sont-ils pas ceux qui ont reçu trop de lumière? N’y a-t-il pas un paradoxe chez les gens qui stigmatisent les gens de couleurs comme on dit, alors que l’excès de lumière, solaire pour le coup, engendre un bronzage, un teint de peau plus brun, tirant vers le noir.
Voici, mesdames et messieurs les jurés, l’argument fatal qui montre que quand l’humanité considérera le noir, l’espoir reviendra.