Jour 52                                              Santiago - Santa Mariña

 


 

 

 
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Lundi 16 Juin 2025

Plein

C’est fait. 

Comme des centaines de pèlerins, venus d’ici ou d’ailleurs, j’ai accompli un rêve et l’émotion n’est pas retombée 48h après. 

La grande majorité est repartie à la maison. Plein d’étoiles, plein de bonheur, plein de tout ce qui peut générer un état de félicité. 

Certains en ont aussi plein les pattes, plein le dos ou d’autres régions plus charnues. 

Ce n’est pas mon cas. Je veux continuer à en avoir plein les yeux. 

Après cette journée dominicale à profiter de la ville, à communier avec les gens qui arrivent et vivent ce moment magique, en découvrant au dernier instant cette magnifique cathédrale, j’ai décidé de reprendre le chemin en direction de l’ouest, Fisterra. 

Selon la légende, le vrai chemin s’arrête au faro de Finistere. Plus loin, une autre immensité, l’océan. 
et après l'océan...
J52

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    ∞ Chapitre 52 ∞


Le Chleuasme

 

Ignorant que ce mot existât, de prime abord, j’aurai pensé à une apologie du savoir-vivre teuton ou une invitation à connaitre le folklore outre-Rhin. Je découvris son existence par hasard avant de réaliser que ce mot m’allait comme un gant, non pas que je sois un admirateur des allemands en short et sandales - ce qui est un tantinet réducteur je vous l’accorde - mais qu’il désigne une figure de style que j’emploie régulièrement. 
Et je n’en suis pas particulièrement fier. Dans les faits, la ficelle consiste à se déprécier pour attirer la sympathie ou la reconnaissance, disons davantage l’effet de surprise, sachant que je suis l’inverse de ce que je prétends être. Il m’arrive souvent de répéter que je ne sais pas grand chose ou que je ne sais pas faire grand chose. 
Un exemple ? Qui suis-je pour trouver un exemple pertinent qui tombe à brûle-pourpoint ? Et bien çà, c’est du chleuasme pur bière, mein freünd. 
Plus explicite, à la même soirée de l’ambassadeur où, après l’épisode dit de l’euphémisme à la duchesse, j’enchaînais avec un schön chleuasme avec des jolies fraüleins. Je feignis de m’auto dévaluer sur ma beauté afin d’attirer sur moi des louanges, sachant que j’étais particulièrement en beauté ce soir-là, smoking, noeud pap’, chaussures à glands. L’antithèse du Belzebuth. 

La vraie question est ailleurs et je dois dire que ce mot résonne dans ma caboche. Moi qui me targue d’être humble, de le chanter sous tous les tons, est-ce parce que je le suis vraiment ou est-ce encore un de ces procédés fallacieux pour attirer les spots sur moi. 
Dans un cas, c’est tout à fait honorable, dans l’autre c’est on ne peut plus répugnant. 
Gentleman ou Belzebuth? That is the question.  

Un bon point de départ  pour aborder cette question sensible serait les mocassins à gland. Elle coûtent une couille avec leurs semelles en peau de zob. Elle représentent le summum du prout-prout mondain avec, cerises sur le gateau, ces petits glands qui pendouillent et se baladent de droite à gauche au gré de la marche, comme deux testicules à l'air libre.
Ce soulier, car à ce niveau, on ne s'abaisse pas à dire chaussure, est le symbole de l'orgueil, du m'as-tu vu, du "je m'écoute parler", bref du superficiel. Autant dire que l'humilité ne fait pas partie des composants de ces objets. Je ne suis pas dans cette catégorie, je ne possède pas de tels souliers, pas plus que je ne connais d'ambassadeur ou d'archi-duchesse en chaussettes. Je ne détiens pas davantage d'escarpins Louboutin ou de Richelieu "écrase-merde", que l'on peut ranger dans la même catégorie. 

L'étage en dessous, ce sont les sneackers de marque, du Prada à New Balance, tous fabriqués par des enfants chinois, que les occidentaux enfilent sans miséricorde, les chaussures j’entends, afin de se pavaner dans les soirées du consul, un peu moins fastueux que son N+1. C'est la société de consommation qui incite les jeunes et les moins jeunes à se chausser de la sorte, pour paraitre, pour ne pas passer pour un loser aux yeux des autres, pour se fondre dans la masse des moutons qui suivent la mode dictée par le capitalisme brutal. Votez Mélenchon.
D'après mes recherches, il paraitrait que les lacets contiennent des traces d'humilité. J'ai des sneackers, des coq sportifs bien français, la crête relevée, le torse bombé, fabriqués, attendez je regarde ... in Shangaï, dans la Creuse. Ouf. Et ne croyez pas tout ce que je dis, surtout sur les consignes de vote.

Je continue ma descente. Etage 3 des galeries Lafayette, rayon prêt-à-porter masculin, pyjamas, robe de chambre, charentaise. on oublie clairement le charme et l'élégance, on privilégie le confort. Adieu la Maserati, bonjour la BX Citroën avec suspension hydraulique. La neige tombe en masse à l'extérieur, le feu crépite dans la cheminée du pavillon de banlieue, on reste assis sur la peau de renne de l'arrière grand-père à boire un thé lipton verveine-menthe. On pourrait faire mieux mais la fourrure des pantoufles en poil d'humilité nous garantit un avenir sécurisé. Je fait un point d'honneur, depuis que j'ai quitté les chaussons de la Lisette, de ne jamais enfiler des charentaises avant d'avoir atteint l'âge de 102 ans. De surcroit, je serai ainsi au minimum dans la 4ème catégorie, celle des humbles.

On continue la dégringolage et on arrive au rez-de chaussée, les mal chaussés mais les humbles chaussés par contre. Ici, c'est l'univers de l'espadrille. De la toile cousue sur de la corde. Pas de compétition, pas de regard déplacé, pas de dédain.
On préfère garder la beauté de l'âme à la beauté de la tatane. Je suis inquiet et nerveux malgré tout. Je me serai bien fondu dans la masse des aficionados de l'espadrillas et je prévois d'en acheter une paire en terre ibère, pas trop lourde, et proche de la fin pour montrer ma volonté d'intégrer ce milieu très fermé. Mais dans l'attente, je n'ai pas ce genre de grole et par voie de conséquence, je ne fais pas partie des humbles. La tête basse, je me dirige vers les ascenseurs pour remonter, j'ai dû louper un détail qui m’apparente à un rayon, le pire serait de finir ma vie en bottine Gucci. Un détail attire mon œil aiguisé, un panneau sur une porte cachée derrière un poteau, dans le fond, derrière des étalages d’espadrilles de toutes les couleurs. Sur ce panneau, l’inscription suivante : «  désolé, je ne t’ai donné que cinq orgasmes cette nuit ».  Je m’insurge, c’est du plagiat, je suis sûr d’en être l’auteur vu que je la prononce régulièrement. En train de chercher le numéro de mon avocat, je réalise tout à coup qu’il s’agit d’un chleuasme. Seuls les athlètes de haut-niveau d’humilité sont capables de comprendre le sens caché. Et je réalise soudain que j’en fais partie. 
Ni une, ni deux, j’ouvre la porte. Elle donne sur un immense escalier qui descends dans les catacombes. Je l’emprunte et découvre, sous mes yeux ébahis, une splendeur, un trésor digne d’Ali Baba: des centaines, des milliers de tongs. 

La tong est l’expression de la chaussure dans sa forme la plus simpliste. 
Une lamelle de caoutchouc, un morceau de plastique fixé sur l’avant pour permettre d’insérer l’espace entre le gros doigt de pied et celui d’à côté pour lequel j’ignore d’ailleurs s’il porte un nom.
On ne demande pas grand chose d’une tong, nous ne sommes pas d’une extrême exigence envers ses performances. Juste de faire quelques pas vers l’avant . Basta
Pas de marcher en arrière, on y arrive bien sûr mais le risque que la lamelle de caoutchouc se plie si l’arrière de cette dernière se prend dans le sol n’est pas anodin. Et là, c’est la chute, 7j d’ittt, source de moquerie, la vie bascule, c’est l’engrenage, ta femme te quitte, tes amis te tournent le dos, tu tombes dans une sévère dépression…
Et le moonwalk, c’est no way aussi. Vous imaginez Michael en tongs? Terreur!
On ne demande pas non plus une esthétique débordante, pas plus de tenir chaud au pied, encore moins de nous protéger contre les chutes d’enclume sur les orteils.
La tong est vraiment employée pour un besoin primaire, marcher, un peu, pas une randonnée, mais quelques pas, en terrain favorable.
La tong représente l’humilité dans ce qu’elle a de plus pure, un écrin, un joyau. 
Je suis désormais réconcilié avec moi-même car j’ai usé un nombre incalculable de tong dans ma vie. 
Je ne suis qu’un humble amateur de tong. Chleuasme pour les uns, les autres sont attendus au rayon caviar.

 

Date de dernière mise à jour : 16/06/2025