La métamorphose
Ne me dis pas que tu n’as pas pensé à cela? Comment peux-tu imaginer, cher lecteur, que je puisse tomber dans une telle facilité?
À la lumière des deux premiers chapitres, en découvrant le titre du troisième opus, tu as tout de suite déduit que le texte allait parler d’un homme en proie avec ses zones d’ombre qui, par un coup de baguette magique planquée sous une paupière bovine, prendrait le taureau par les cornes pour se transformer radicalement, passant d’une chenille plombée à un papillon gracieux.
Je ne t’en veux pas et je dirai même que je peux le comprendre. Nous sommes tellement conditionnés par ce genre d’histoire rabâchée à foison. Le conte de cendrillon n’est guère différente de ce à quoi tu t’attendais, une jeune fille perdue en haillons qui se métamorphose en princesse grâce à une citrouille.
On pourrait aussi me soupçonner que dans un délire kafkaïen, je me transforme en génisse pour goûter à la liberté des champs, à bouffer du foin, entouré par une nuée de mouches, fruits de la mutation de savants passés dans un module spacio temporel.
Je veux évidemment évoquer un autre type de métamorphose. Celle de l’esprit.
Et là je veux remercier mon ami Friedrich, que je commence à découvrir et dont j’ai le sentiment qu’il va souvent m’accompagner dans les mois et les chapitres qui viennent.
Je ne me différencie pas de mes contemporains dans ma construction spirituelle. Je me suis imprégné malgré moi des messages diffusés par la société, mon esprit s’est chargé de lourds fardeaux tel le chameau. Je parlais de condition plus tôt, il s’agit d’une influence tacite, d’une éducation machinale qui forme ou déforme les hommes et les femmes à rentrer dans le moule pour perpétuer les habitudes, respecter les coutumes, paraître avant d’être vraiment. Il nous est demandé d’être à la hauteur, le plus parfait possible pour correspondre à des modèles. Ce faisant, nous limitons notre capacité à agir et penser par nous-mêmes, nous entamons notre personnalité. La liberté qui nous est propre s’en retrouve rétrécie, sans compter les perspectives qui se voient réduites à leur plus simple expression.
Nous nous construisons dans cet environnement, dans ce paradigme bien huilé.
Puis vient cette forme de rébellion, d’émancipation qui nous fait chercher notre voie, nous affirmer. Nous essayons de trouver notre place pour reproduire ce même modèle jusqu’à ce que mort s’ensuive.
De chameau, nous passons à lion. Nous pensons ainsi aboutir à une fin, avec la conviction d’avoir créé quelque chose d’important, même si elle est relative.
A l’heure où j’écris ces lignes, j’en suis arrivé à ce stade. J’ai suivi une certaine voie, ma voie, j’ai créé, j’ai avancé sur mon chemin mais j’ai la sensation, j’ai surtout la conviction que lion n’est pas un aboutissement, quand bien même il soit féroce et charismatique.
Il y a une une troisième métamorphose à entreprendre pour s’accomplir vraiment. Celle de s’affranchir des freins qui empêchent de se révéler, de devenir ce que l’on est. Pour sortir de ce cirque, Pindare ne nous dit rien d’autre que d’apprendre qui on est, puis de le devenir après cette révélation qui ne se découvre qu’après tant d’enseignements.
Il faut alors redevenir enfant, fait d’innocence et d’oubli, d’insouciance et d’émerveillement. Exacerber ses sens à nouveau , ouvrir ses yeux et ses oreilles. Poser les poids des trop lourdes responsabilités héritées du passé, ancrées dans notre égocentrisme et laisser apparaître une certaine forme de candeur.
Vous ai-je déjà parlé de Madeleine?