La tourterelle
La tourterelle a joué un rôle important dans ma vie. Elle le joue toujours d’ailleurs. Elle a su m’élever vers ses cieux, elle m’a fait réfléchir, me pencher sur des sujets aussi cruciaux que futiles. Elle m’a permis de m’apporter de la satisfaction dans mes écritures. C’est à elle que je pense lorsque je m’exprime, toujours par écrit, sur tel ou tel sujet. Elle me guide, me challenge, me contredit avec bienveillance et me fait m’interroger sur l’égocentrisme enfoui dans chacun de nous, sur l’orgueil qui nous habite.
pourquoi une tourterelle, allez-vous me dire ? Pourquoi pas un lion, roi des animaux, ou un loup, un ours, un aigle ou même un dinosaure? En tout cas une espèce qui en jète, qui symbolise la noblesse, la férocité. Pas un vulgaire volatile dont le seul passe-temps est de roucouler et qui s’enfuit devant le moindre mouvement suspect.
Et bien, mes chers compatriotes, parce qu’il faut regarder au-delà des apparences. C’est ma doctrine, dont il faudra désormais vous habituer puisqu’elle sera présente, en filigrane dans toutes les interventions. Les symboles peuvent être interprétés de différentes manières et sont sources de réflexion active pour celui ou celle qui ne veut pas rester sur ses acquis.
La tourterelle, déjà, elle est présente sur les chemins, à la campagne comme à la ville, son rourou agrémente le quotidien. Et puis, si sa cousine colombe fait figure de paix dans le monde, la tourterelle symbolise pour moi la paix intérieure.
Avec ses airs de ne pas y toucher, elle dégage un sentiment de sérénité, de prise de hauteur. C’est normal, allez vous me dire, elle vole.
Elle ne s’arrête pas aux bassesses, aux arguments ras du sol, aux marioles qui volent pas haut.
Elle embrasse le monde de sa force tranquille comme disait tonton et plus rassurante qu’une vulgaire biscotte comme disait tata.
À l’avenir, si je dévie du chemin, si je m’égare vers de sombres contrées, je sais pouvoir compter sur elle.
Mon humeur et mon moral sont entièrement dépendants de cet oiseau. Si bien, que si je ne l’entends pas durant plusieurs jours, je dépéris à vue de bec. Je m’astreins alors à forcer le destin, à partir à la conquête de n’importe quoi ressemblant à mon totem.
Depuis plusieurs jours, J’attends qu’une tourterelle se manifeste, d’une manière ou d’une autre. Une tourterelle en sucre, en chocolat, en bois, en rêve, assisse, debout, en appui sur les mains avec le croupion en l’air, peu importe.
Nadia, niet, que dalle, peau de zob.
Mardi soir, je participais à un symposium sur l’intelligence artificielle appliquée à la médecine au sein d’une faculté lyonnaise. Fondu incognito au milieu de l’amphithéâtre, j’écoutais d’une oreille distraite comment les algorithmes allaient s’y prendre pour analyser ma prochaine colposcopie. Je scrutais chaque détail autour de moi pour tenter de déceler un signe de Sainte-Tourterelle.
À la fin du colloque, je me surpris à regarder sous les tables, sous l’œil interloqué d’une matrone.
vous avez perdu quelquechose monsieur?
Je cherche une tourterelle
Comment ça une tourterelle ? Retorqua-t-elle
Ben une tourterelle qui fait rourou connasse
Les gens sont vraiment en manque d’imagination et d’ouverture!
Mercredi soir: buffet chez un client, payé par mon entreprise pour le vente de deux gros systèmes l’été dernier.
On se congratule, on se félicite, limite on se tripote tellement l’ambiance est décontractée. Une seule personne tranche avec le reste: votre serviteur. Pas la tête à bouffer des toasts et boire du champagne, je cherche le signe, dans l’atmosphère ou dans le pot de bonbons, des fois qu’une tourterelle soit représentée en gélatine. Zobby la mouche, rien
Jeudi soir, vendredi soir, même topo. Après la rixe entre voisins durant l’assemblée générale du lotissement pour de sombres histoires de chien qui aboie ou de haie à la hauteur non réglementaire, je joue la carte de l’apaisement et demande à chacun s’il ne possèderait pas une tourterelle dans leurs affaires. Une voisine réponds si c’est bien sérieux d’évoquer un vulgaire oiseau alors que nous venions d’évoquer des sujets autrement plus importants. Peu lui en a pris, je l’ai entraîné dans la petite pièce à côté et lui ai trempé la tête dans la cuvette. Parfois, il faut forcer le destin. Coup dans l’eau, shoot again.
Voilà, pas de tourterelle.
Et puis, nous voici samedi matin. Je décide de faire une séance de rameur devant un film. Et v’la ti pas qu’au bout de dix minutes, qu’est-ce qui apparaît à l’image? Une tourterelle. Blessée, une aile en vrac, le héros auquel je me suis identifié immédiatement sur le plan physique puisque il est black, petit, avec une touffe de cheveux à la Jackson five, découpe sa chaussette et enveloppe l’animal dedans.
Elle a morflé mais elle s’en remettra. Et moi aussi du coup.
Next.