L'ivresse
Il y a des mots dans la langue française qui sont stigmatisés, connotés négatifs parce que la culture française les assimile aux excès qu’ils peuvent engendrer. Ou bien on ne retient que la partie sombre, le verre à moitié vide. La nature humaine préfère parfois s’apitoyer sur les causes néfastes avant d’en apprécier les bienfaits.
Prenons la curiosité, ce vilain défaut, soi-disant. Elle peut être, en effet, malsaine, perverse quelquefois mais quelle qualité ! C’est une vertu essentielle pour qui veut s’ouvrir, découvrir, apprendre, casser les codes.
Que dire de l’ivresse?
On pense tout de suite aux abus d’alcool, aux poivrots, aux sorties de boite de nuit, aux jeunes ou moins jeunes bourrés après deux verres de vin.
L’ivresse, c’est avant tout la passion, la spontanéité enfantine, c’est l’adhésion à la vie.
C’est la condition préalable à toute création.
L'art n'est-elle pas source d’ivresse lorsque l’artiste atteint ce point où il fait un avec son œuvre. Toute ressemblance avec l'auteur de ce texte n'est que pure coïncidence.
Peu importe la cause de notre ivresse. Ce qui compte, c’est de vivre l’expérience de cet état modifié de conscience qui nous donne ce sentiment de force accrue, de plénitude, d’accomplissement, ce sentiment d’être relié au tout.
Il faut s’enivrer. De vin, de poésie, de plein air, de sexe, de ratatouille, peu importe mais enivrons nous. Ou mieux, de tout ça à la fois.
On redevient cet enfant le jour de Noël, on ressent la sensation du premier flirt, elle parcours notre corps et notre esprit lorsqu'on pose le premier pied sur le chemin.
L’alcool enivre, l’amour enivre, Marie Jeanne enivre aussi.
Il faut savoir la générer, la provoquer, faire tomber ces barrières et ces croyances pour se donner les moyens de la vivre, et de la vivre pleinement, intensément.
Se livrer, s’abandonner, donner pour mieux recevoir et ainsi de suite, rentrer dans ce cercle vertueux, dans cette spirale qui nous entraîne au ciel, le septième en l’occurrence.
Cette état d'ivresse que l'on atteint ou que l'on souhaite atteindre se manifeste souvent par une extériorisation spontanée, à savoir le chant ou la danse, ou les deux à la fois.
Qui n'aime pas danser? Admettons que l'on soit timide, qu'on craint le regard des autres, qu'on se trouve trop gros ou trop moche ou trop je-ne-sais-quoi ou que l'on chante à tue-tête qu'on ne sait pas danser, quand l'euphorie est là, on danse, ne serait-ce que quand on se retrouve face à soi-même.
Que fait-on généralement lors des anniversaires, des mariages, des banquets? On danse. On boit aussi, on mange et on danse. Danser, c'est faire la fête. Faire la fête, c'est danser.
La danse est présente depuis toujours et dans toutes les civilisations. Les inuits tounicotent autour de l'igloo, les aristocrates se mélangent dans un menuet à la cour, les cow-boys se retrouvent au son d'une musique country, les auvergnats sont plutôt bourrée, à jeun de préférence, et Jean passe et John travolta et Fred Astaire.
La danse est souvent le reflet d'une culture, d'une communauté. La polka, la salsa, le hip-hop, la tarentelle.
Combien de couples se sont formés en dansant? Combien d'enfants, dont le premier - ou le dernier- d'entre eux est votre serviteur, sont le fruit d'un slow, d'un tango yeux dans les yeux, corps contre corps, d'une samba chavirante.
J'ignore quelle danse a vu les premices de ma conception germer. Je ne saurais dire s'il s'agissait d'un paso-doble, d'une rumba ou d'une valse. Ce que je sais en revanche, c'est que j'ai émis l'idée de finalement faire une apparition sur terre lors de ces fameux bals musette qui se tenaient tous les samedis soirs, partout en France à la fin des années 60, et particulièrement dans les campagnes. Ce n'était pas "Danse avec les stars" - vous imaginez bien que sinon je serai resté bien au chaud dans mon cocon- mais des étoiles, il y en avait bien dans ce dancing rural, à commencer par mes parents. Qui n'ont pas cessé de briller sur les pistes les dizaines d'années qui suivirent, suscitant l'admiration de tous.
Chaque génération invente sa propre danse selon l'air du temps, faisant passer les précédentes pour ringardes. L'accordéon est ringard, c'est exact. Mais on ne peut pas nier que le son de l'accordéon a réuni bon nombre de danseur, dans une synergie qu'on ne retrouve plus de nos jours. Il n'y a que le disco, ringard lui aussi - pas pour moi - qui fédère le plus sur les dancefloors. Cet instrument a enivré l'après-guerre, a accompagné les baby-boomers le soir et le week-end à la sortie des usines, des champs et des magasins, notamment les boucheries rue Foch.
On danse pour oublier le quotidien qui nous harasse, pour alléger la lourdeur qui nous terrasse, pour retrouver un sentiment de joie fugace.
On voit à la démarche de chacun s'il a trouvé sa route; l'homme qui s'approche du but ne marche pas, il danse. Ce n'est pas de moi mais de qui vous savez.
Enivrons-nous et le monde sera plus beau.