La parabole
C’était une journée magnifique.
L’aiglon voltigeait dans les hauteurs, tournoyait au gré des vents, se laissait porter par son innocence. Ses ailes, son plumage se réchauffaient sous le soleil resplendissant. Au-dessous de lui stagnait cette masse blanchâtre, cotonneuse, mais il ne s’en préoccupait pas. Ne comptait pour lui que le plaisir de s’en remettre aux courants qui dominent en haute altitude.
Pas d’obstacle à l’horizon qui pourrait contrarier sa trajectoire fluide et gracieuse. Rassuré par le regard de ses congénères qui évoluent à ses côtés, l’aiglon est heureux et n’envisage rien d’autre que de continuer son vol indéfiniment.
Quand il vit un de ses semblables, beaucoup plus expérimenté, piquer à la verticale et disparaître dans la masse nuageuse, il ne comprit pas très bien ce qui arriva. Il s’aperçut néanmoins d’une légère déviation de sa course. Le processus était enclenché pour une descente, non pas à pic comme vient de le faire cet autre aigle à l’instant, mais beaucoup moins prononcée.
Il réalisa avec le temps que malgré ses efforts, il ne pouvait entamer une remontée, comme si ses ailes s’étaient soudainement recouvertes de plomb. Il ne mit pas longtemps à pénétrer dans le magma laiteux. Le soleil était désormais voilé et la lumière baissait en intensité au fur et à mesure de sa déclivité.
Le monde rayonnant dans lequel il évoluait depuis toujours avait laissé place à un environnement grisâtre, terne, sans formes ni fantaisie. L’aiglon devenu aigle comprit assez vite que cette descente aux enfers était inéluctable et irréversible. Battre des ailes comme un forcené produisait l’effet inverse de ce qu’il escomptait et se laisser porter comme jadis l’entraînait irrémédiablement vers le crash.
Il tenta en dernier recours de profiter d’un courant ascendant pour atténuer sa chute. Il réussit à frôler le sol, à quelques mètres d’altitude mais il savait que ce n’était qu’une question de temps avant que l’irréparable ne se produise. Il s’apprêta à fermer les yeux pour ne pas subir le choc imminent quand apparut dans son champ visuel ce qu’il prit au départ pour un rocher, cette masse compacte contre lequel il va bientôt s’écraser.
Comme une providence, le rocher se mut imperceptiblement et l’aigle reconnut un de ces êtres qui peuplent les prairies, qui cohabitent avec le monde des airs dont il est un des représentants, chacun ayant du respect et de l’affection pour l’autre. Ce léger mouvement initié ne fut rien d’autre qu’un clin d’œil comme pour redonner cet élan salvateur qui empêcherait le naufrage.
L’aigle se saisit de cette offrande comme une dernière chance et c’est alors que ses ailes retrouvèrent tout à coup la ferveur d’antan. Il réussit alors à incurver sa courbe et ainsi repartir vers les hauteurs, d’abord de manière presque horizontale, comme un gros porteur qui décolle de la piste, puis de façon plus nette. Régénéré, il entreprit de tendre vers cette droite fictive, imaginaire qui se dirige vers les cieux, la fameuse asymptote qu’il a appris dans les cours de voltige dès son plus jeune âge,quand il était encore un petit aiglon. Tout comme la parabole, qu’il vient d’effectuer depuis l’amorce de sa descente jusqu’à retrouver l’altitude d’origine.
D’après le Larousse, une parabole est une figure de rhétorique consistant en une courte histoire qui utilise les événements quotidiens pour illustrer un enseignement, une morale ou une doctrine.
