La parenthèse
Tout comme la fenêtre, le compte, la boîte en sapin ou la bouche, la parenthèse s'ouvre et se referme.
A la différence près que pour la parenthèse, entre ces deux actions, l'état général n'est pas le même. Je veux ici parler de notre environnement intérieur, de notre humeur. Tout est léger, à l’intérieur de la parenthèse, badin, aérien. On oublie les tracas, les angoisses.
J’ouvre une parenthèse : certaines langues de vipère; au passage, j’ouvre une parenthèse, Ouroboros n’est sûrement pas une vipère avec le risque de s’empoisonner la queue, et ce serait du même coup, la survie de l’humanité toute entière qui serait en grand danger, je referme la parenthèse, donc, les langues de vipères diront qu’un type comme moi parler de légèreté équivaut à ce qu’un footballeur disserte sur Spinoza, ou qu’un russe disserte sur la sobriété ou que Hanouna disserte tout court.
Fermez la parenthèse.
Celles-ci restent au-devant de la porte. Moi les portes je les ouvre, comme les parenthèses. Je me donne la peine de regarder ce qui y a derrière.
Décompression, cure de jouvence, ballon d’oxygène, moment suspendu, la parenthèse regroupe tout cela et bien plus encore. Elle est vitale à l’homme contemporain pour s’évader, se reconnecter avec la vie, la vraie.
Les langues de bœuf avec leurs gros sabots me rétorqueront que j’ai pas besoin de faire mon malin avec mes péroraisons sur la conjugaison parce que finalement, tes parenthèses , pauvre idiot, ça s’appelle des vacances.
Vous avez compris que les langues de bœufs, même si j’adore ce mets délicat, restent au pas de la porte.
Certes, les vacances proprement dites sont faites pour se reposer, se ressourcer et peuvent, dans certains cas, se rapprocher d’une parenthèse. Mais pas toujours.
J’ouvre une parenthèse: j’ai souvent consacré des jours de congés sans toutefois partir sous les tropiques. Et rester à la maison pour bricoler, ranger le garage ou jardiner, ceux qui me connaissent savent qu’on peut pas parler franchement de parenthèse stricto sensu. Tout au plus de petites guillemets et encore! Je referme la parenthèse.
Pour la parenthèse, la vraie, on parle de passions, d’émotions pures, de sensations fortes. C’est une randonnée me concernant, cela peut être jardiner pour d’autres, courir, jouer du biniou.
Le stress n’a pas sa place dans une parenthèse, pas plus que la peur ou la peine.
Les vivre est bénéfique sur le moment et aussi après. Se les remémorer permet un instant de replonger dans cette eau tiède turquoise aux senteurs boréales et apporte une éclaircie dans le ciel morose.
Et c’est à ça que sert l’Art.
J’entends déjà les langues de chat sournoises comparer l’art à un passe-temps pour bobos désœuvrés et fainéants.
J’ai une bonne nouvelle: comme les langues de chat vont devoir faire le pied de grue aussi devant la porte, elles pourront nous débarrasser des langues de vipères en les bouffant, elles-mêmes dératiseront les langues de bœuf en les mordant au jarret, qui elles-mêmes extermineront les langues de chat à grands coups de sabots. Il y a des carnages salutaires.
L’art est une parenthèse offerte, un échappatoire qui vous happe, ou qui vous harpe dans le cas de musique symphonique. Ecouter Mozart est l’assurance d’une parenthèse enchantée, tout comme sa flûte. J’ai moi-même jouer de la flûte en 6ème, mais elle était plutôt en chantier.
L’art permet surtout, et c’est là toute son essence, sa pureté, de s’évader dans les moments les plus difficiles. Parler poésie lorsqu’on se bat contre une maladie, écouter un vieil homme chanter dans un wagon à bestiaux à destination des camps, regarder un spectacle de clown alors qu’on est contraint à 8 ans de vivre dans une chambre stérilisée. Lorsqu’on est tout en bas, l’art permet de se raccrocher au monde des vivants, au temps des jours heureux.
Je vais maintenant poser la question que les mauvaises langues auraient posée si elle ne s’étaient pas entretuées : faut-il être un artiste pour faire de l’art?
La réponse est non, la preuve est sous vos yeux, et ce n’est pas langue fourchue qui vous parle. Écrire peut être considéré comme une manifestation artistique sans pour autant qu’elle soit l’œuvre d’un artiste.
Écrire, chanter, peindre, jouer du ukulélé (parce que le biniou, ça va bien 5 minutes) est une invitation à l’art.
Tourterelle: tu devais être un joli petit artiste en culotte courte avec ton pipeau à la bouche en 6ème?
Cyril: l’art, c’est comme le reste, il a ses limites.
Je ne pourrais pas finir ce propos sans invoquer l’amour. L’amour de l’art, de l’artiste ou l’amour avec un grand A qui peut ouvrir une parenthèse sans jamais la refermer.