L'émerveillement
Le vécu augmente le capital confiance, en sus de la stabilité et de l’adaptabilité.
Vivre, engranger de l’expérience, grandir, se tromper, recommencer, découvrir et apprendre, tout cela permet à l’Homme de se forger pour affronter d’autres épreuves qui se dresseront sur son chemin.
Mais tout ceci éteint petit à petit notre aptitude à nous émerveiller.
L’émerveillement est omniprésent durant l’enfance et à tendance à se réduire avec les années jusqu’à pratiquement disparaître avec la maturité.
Et c’est là que la 3ème métamorphose de Nietzsche prend tout son sens. Redevenir enfant la maturité venue. Et cela passe par s’émerveiller. Provoquer les situations où on serait susceptible de s’ébahir à nouveau.
Il ne faut pas juste prétendre, faire comme si c’était la première fois qu’on vit cette situation, qu’on voit telle ou telle chose. Il est important de considérer, de ressentir et peut-être même d’en éprouver un certain plaisir. Prendre le temps d’observer pour être surpris et pourquoi pas être dans l’émotion. Il y a tellement de choses, désormais anodines à nos yeux qui pourraient nous charmer pour peu qu’on les admire sous un œil différent, avec curiosité et envie.
En grandissant, les enfants acceptent inconsciemment la notion de normalité qui leur fait perdre toute l'incandescence de leur innocence.
En vieillissant, les adultes devraient consciemment retrouver la notion d’innocence qui leur ferait gagner toute l’incandescence de l’émerveillement.
Il est des endroits, des rencontres qui marquent. Une journée, une semaine ou même un instant seulement dans une vie suffisent à procurer une place dans la mémoire, une nostalgie, un marqueur auquel on se raccroche. Ce n’est pas un basculement proprement parlant mais on s’en souvient comme quelque chose ressemblant à une inspiration ayant eu une influence dans notre comportement, dans notre parcours.
Birgit était de ces femmes qui avait retrouvé cette faculté d’émerveillement. Je ne l’avais pas conscientisé à l’époque mais à la lumière de mes recherches philosophiques, primées par le prestigieux prix de l’académie des neuf avec Sim en maître de conférence, je le comprends à présent.
Côtoyer Birgit pendant une semaine m’a énormément apporté sur des valeurs essentielles telles que la tolérance, le respect, l’humilité et bien sur l’émerveillement.
Cela n’avait pourtant pas très bien commencé mais pas à cause d’elle. Comme je ne l’imaginais pas du tout comme ça, passé l’effet de surprise, j’en fut réduit à ressentir des aprioris d’un autre âge envers elle que je ne mis pas longtemps à évacuer.
Le contexte est le suivant: en couple, nous décidâmes de nous octroyer une semaine de vacances en Crète, ce qui pour le coup devait être une parenthèse. Au programme : randonnée en groupe quotidienne, agrémentée de visites archéologiques, baignade en Méditerranée etc..
Quelle ne fut pas ma stupéfaction lorsque Birgit vint à nous à l’aéroport d’Héraklion, se présentant comme notre guide. J’ai tout de suite pensé que la parenthèse allait très vite se refermer.
Birgit était sur l’instant rigide, allemande et âgée. Elle ne perdit que sa rigidité plus tard puisque elle continua d’être allemande et âgée.
Je fus, à ce moment, à deux doigts de remonter dans l’aéroplane, de faire un scandale auprès de l’organisme qui nous avait vendu du rêve mais je décidai de donner une chance à Birgit. Ce que firent aussi visiblement les autres membres du groupe.
Ce fut dès le lendemain, sur les pentes du mont Gigilos, que changea radicalement ma vision. Birgit, flirtant avec les 70 ans, un accent bavarois à couper au couteau, ne cessait de s’émerveiller sur ces chemins qu’elle arpentait depuis des décennies, depuis qu’elle avait suivi son amour grec, qu’elle avait quitté la forêt noire pour le galaktoboureto, emblême sucré du pays de Platon.
Heureusement qu’au pays de l’Olympe, j’avais la forme de circonstance et que je pus passer du temps à ses côtés; les autres étant à la ramasse. C’est ainsi que j’ai pris la mesure de sa capacité à s’extasier devant des fleurs, des insectes, des cailloux, toutes ces choses insignifiantes aux yeux du mécréant que j’étais.
C’était Birgit au pays des merveilles.
Je dois avouer que j’ai eu un petit pincement au coeur lors des adieux au même aéroport, une semaine plus tard. La parenthèse se referma longtemps après, tellement son souvenir, ses paroles, son état d’esprit restèrent en suspens dans mon être.
Je rêve de retrouver Birgit sur Compostelle, au travers d’une marguerite, d’une abeille ou d’un rocher. Et je ne manquerai pas de contempler, de scruter toutes ces choses et ces êtres naturels, et de prêter mon oreille au cas où un accent outre-Rhin venait à se faire entendre.